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6 août, 8h15...


ATTENTION CET ARTICLE PEUT HEURTER LA SENSIBILITE DES PLUS JEUNES

"Comme d’habitude et comme toutes les autres personnes du bureau, je commençais à faire le ménage. Quand je suis entrée dans le bureau du directeur dont j’avais la charge, j’ai entendu une femme dans la cour qui disait : « un bombardier B29 est en vol». Je m’en suis préoccupée et à l’instant où j’allais m’approcher de la fenêtre, un fort éclat de lumière est apparu. C’était un éclair rouge d’une intensité lumineuse plus forte et plus éblouissante que le feu provoqué par le grattement d’une allumette. En un instant, je me suis bouchée les yeux et les oreilles avec mes mains et me suis accroupie sur place. A cette époque, on nous enseignait de faire ainsi lorsqu’une bombe tombait. Je me sentais comme en état d’apesanteur, flottant dans l’air et dans l’obscurité, et je ressentais une sensation étrange, « croustillante » et inexplicable, incapable de juger si ce qui m’arrivait était douloureux ou non. Je me suis imaginée que j’allais mourir, ici. Sur le moment, je ne m’en étais pas aperçue mais des éclats de verre projetés par le souffle de l’explosion m’avaient atteint au visage et au bras gauche. Mon corps était totalement ensanglanté. Aujourd’hui encore, un éclat de verre est toujours présent à l’intérieur de ma joue gauche.

Alors que je restais immobile, j’entendis une voix faible venant du couloir. A l’intérieur de la pièce, je ne voyais rien car elle était plongée dans la pénombre. Alors que j’essayais d’en sortir en me dirigeant vers le couloir à l’aide du son de la voix, je heurtais le dos d’un homme. Puisque je n’étais pas encore morte, je me suis dit qu’il fallait mieux m’enfuir avec cet homme. Je l’ai suivi en le saisissant fermement par la taille et finalement je suis parvenue près de la sortie où des gens s’étaient rassemblés. Tous ensembles, nous avons pu ouvrir la lourde porte et atteindre l’extérieur. Il faisait sombre comme à l’aube d’un jour et autour de nous de multiples objets emportés par le souffle de l’explosion retombaient au sol. Les personnes sortant de la station d’émission avaient le visage tout noir, les cheveux hérissés. Ils étaient ensanglantés et leurs habits étaient déchirés. Ils étaient dans un tel état que, sans entendre le son des voix, ils ne pouvaient se reconnaître entres eux.

Nous nous sommes imaginé que le bombardier avait visé la station d’émission et largué une bombe qui provoquait des dégâts considérables. Je suis alors sortie du site avec deux ou trois femmes travaillant dans la même section des affaires générales. Ce fût la première fois où je me suis aperçue que les dégâts n’étaient pas limités à la station d’émission. Tous les bâtiments environnants s’étaient effondrés et des incendies éclataient çà et là. L’annexe de notre bureau situé aux 5ème et 6ème étages de l’agence de presse Chugoku Shimbun était en flamme et vomissait du feu par ses fenêtres. Nous avons alors décidé de nous réfugier au Jardin de Shukkeien situé près de la station d’émission. Pendant que le feu gagnait du terrain, on entendait les cris des personnes écrasées par leur maison détruite et les voix des personnes cherchant leur famille, mais je me suis désespérément efforcée à m’enfuir sachant que je ne pouvais rien faire pour eux.

Beaucoup de personnes étaient venues se réfugier au Jardin de Shukkeien. Nous avons traversé le pont enjambant l’étang et nous nous sommes regroupés sur la berge de la rivière Kyoubashigawa. Mais des arbres à l’intérieur du jardin ont commencé à brûler et le feu s’approchait progressivement de la berge de la rivière. C’est alors qu’un grand pin situé au bord de la rivière se mit à brûler à grand bruit. Nous avons plongé dans la rivière d’où nous regardions la scène en nous immergeant jusqu’à la poitrine. Sur la rive opposée, le quartier d’Osuga-cho commençait à bruler et nous envoyait une pluie d’incandescences. Le feu provenant de la berge et du rivage opposé était tellement chaud que nous avons replongé dans la rivière pour n’en ressortir que le soir.

Beaucoup de gens s’étaient réfugiés sur la rive et il n’y avait pas assez de place pour tous nous y asseoir. Comme l’armée était à proximité, il y avait beaucoup de soldats auxquels il ne restait que des cheveux au sommet de la tête, à l’endroit où ils portaient habituellement leur casque, mais sur toutes les autres parties du corps la peau était brûlée et enflée. Ils étaient à l’agonie. Une mère, qui portait un bébé dans ses bras en restant immobile, avait le buste en lambeaux et son bébé semblait déjà mort. J’entendais sans cesse les voix de personnes brûlées et blessées qui disaient : « Donnez-moi de l’eau! Donnez-moi de l’eau! ». A l’inverse, il y avait des gens qui criaient : « Ne buvez pas l’eau! ».

Beaucoup de personnes qui souffraient de brûlures sévères, avaient plongé dans la rivière pour ne pas les endurer. Mais la plupart d’entre-elles avait dérivé le long de la rivière sans pouvoir en sortir. De l’amont de la rivière, les cadavres arrivaient les uns après les autres et toute la largeur de rivière en était remplie. Même pendant que nous étions dans la rivière, des cadavres arrivaient en flottant les uns après les autres et je devais les repousser vers le cours de la rivière. A cet instant, j’étais désespérée mais sans être réellement effrayée. J’ai vu de mes propres yeux un spectacle plus misérable que l’enfer. L’incendie était tellement violent que nous ne pouvions pas nous déplacer et nous avons dû rester toute la journée sur la berge de la rivière du Jardin de Shukkeien."

Kimiko Kuwabara

Je ne pouvais pas commencer cet article sur Hiroshima par autre chose qu’un témoignage poignant. Je vous avoue que la visite du mémorial m’a profondément touché. On a beau connaître l’Histoire, cela ne suffit pas à se préparer aux sentiments qui vous traversent une fois sur place. Surtout que cette visite s’est faite pour nous un 8 mai… Vous savez cette date qui, pour nous en tant qu’européen, marque la fin de la guerre.

Et pourtant j’ai envie de vous dire que non. Celle-ci s’est poursuivie dans le pacifique et s’est terminée avec l’utilisation d’une arme qui ne devrait pas exister (comme toutes les autres d’ailleurs) : la bombe atomique. Le mémorial retrace d’ailleurs très bien son histoire : du projet Manhattan à Little Boy. La lecture des documents d’époque comme les courriers d’Einstein, nous font vraiment prendre conscience de la folle puissance de cette arme. Et que cette dernière n’avait qu’un but : outre de terminer la seconde guerre le plus rapidement possible, montrer la suprématie militaire des Etats-Unis aux Russes…

Outre les témoignages dont vous avez eu un petit aperçu (du moins si vous êtes parvenu à lire jusqu’ici), les objets présentés sont eux aussi marqués de l’empreinte de la bombe. Cette montre qui s’est arrêté à 8h15, ce vélo entièrement brûlé par la température folle qu’a dégagé l’explosion, ces vêtements déchirés et bien sûr les effets divers ayant appartenus à Sadako Sasaki. Cette petite fille est devenue le symbole pour la paix.

Lors du bombardement cette dernière se situe à environ 2 kilomètres de l’épicentre. Pas de blessure. Après cet épisode tragique, elle cultive une passion pour l’athlétisme et excelle notamment dans la course à pied. Mais 10 ans après l’explosion, elle contracte une leucémie. Conséquence des radiations liées à la bombe. Une de ses amis lui rend régulièrement visite à l’hôpital et lui raconte la légende des 1000 grues. Ces dernières sont symboles de longévité et de bonheur au Japon. Sadako décide alors de faire 1000 grues en origami. Elle meurt le 25 octobre 1955… On dit qu’elle n’a pas atteint ce chiffre. Sa mort ayant tellement marqué un de ses camarades, qu’il a décidé d’ériger une statue à son effigie et est devenu le symbole des enfants victimes de la bombe. Et même de la Paix.

Mais saviez-vous que les victimes d’Hiroshima n’ont pas été reconnues comme telles tout de suite ? Il faut savoir que faire partie d’une famille ayant été « atomisé » fût très mal vu par les autres japonais. C’était presque un déshonneur. Ce n’est qu’en 1955, soit 10 ans plus tard, qu’un système d’allocation et de soins pour les victimes fut mis en place. De même, il était prévu de démolir le dôme de Genbaku. Ce n’est que dans les années 60 que la municipalité a décidé de sa préservation. Il a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 1996. Et je peux vous dire que l’ambiance sur place y est très… Comment dire… Il n’y a pas de mot. Si ce n’est que ce silence… assourdissant.

Mais Little Boy continue encore à faire des victimes… Les radiations continuent leur travail de sape sur la santé des derniers survivants… Ils poursuivent d’ailleurs un travail titanesque pour la paix. Partout dans les rues d’Hiroshima, le mot Peace jaillit. Des citations en faveur du respect, de l’écoute des autres et bien sûr de la paix peuvent être lues partout. Et quand on réfléchit 2 minutes au contexte dans lequel nous sommes, je ne peux dire qu’une chose : No More Hiroshimas

Pour aller plus loin : Journal d’Hiroshima, 6 août-30 septembre 1945, de Michihiko Hachiya

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